notes du chapitre Ier

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Chapitre Ier

Les Britto-romains (1)

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Argument

Maxime se fait proclamer empereur par des légions installées en Ile de Bretagne, 

et traverse la Manche à la tête de troupes 'bretonnes'.

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La marque du temps : 300 ans de romanisation, déjà !

            Le début de l'épopée de Maxime se situe au printemps 383 après J-C. C'est-à-dire que l'île de Bretagne est alors sous domination romaine depuis 300 ans exactement, puisque la dernière grande bataille qui a opposé des Celtes bretons indépendants aux légions romaines s'est déroulée dans les Monts Grampians, en 84, sous l'empereur Domitien (2). C'est-à-dire aussi qu'en cette période de 300 ans, les choses avaient bien changé en Ile de Bretagne et qu'il est donc totalement erroné comme le font certains historiens de vouloir expliquer des évènements de la fin du IVè siècle, dans le contexte politique du Bas-empire romain, par des arguments basés sur des conditions antérieures à la conquête romaine. Ce serait un peu comme si l'on voulait aujourd'hui chercher le prétexte de la guerre de 1939-45 à l'époque de Louis XIV en faisant abstraction de tout ce qui s'est passé entre ces deux périodes.

            Il est vrai cependant que beaucoup d'ouvrages traitant de l'histoire de Bretagne, en ce qui concerne le degré de pénétration de la romanisation chez les Bretons, ont cherché à insister sur le fait que cette romanisation n'aurait été que très superficielle, plus apparente que réelle, et que dès que l'occasion s'est présentée les Bretons se seraient dépêchés de s'en débarrasser et de se receltiser de plus belle. A preuve, selon ces ouvrages, la quasi-disparition de la langue latine en Ile de Bretagne et la receltisation de la Bretagne armoricaine par les arrivants bretons. (3)

            Ces arguments, motivés par un sentiment de fierté nationale bien compréhensible de nos jours, seraient crédibles et donc bien pardonnables, s'ils n'étaient contredits par les textes historiques régulièrement confirmés par des preuves archéologiques.

            Bien entendu, et cela demeure incontestable, la romanisation de l'Ile de Bretagne a été beaucoup plus réelle dans les villes que dans les campagnes, et l'on trouve aussi d'avantage de sites romanisés auprès des villes de garnison, auprès du Mur d'Hadrien et des grands ports de commerce, que dans les contrées et les forts les plus éloignés de l'actuel Pays de Galles ou de l'actuelle Écosse. Mais de tout temps, et en tous lieux, faut-il le rappeler, c'est la ville qui a fasciné les campagnes, et non l'inverse, aussi bien pour l'intérêt politique et courtisan, que pour les intérêts humains, commerciaux, industriels, culturels, ou religieux. En cela, la culture naturaliste ou animiste, que ce soit en Germanie, en Gaule, ou en Ile de Bretagne, n'aura été qu'une longue mais vaine résistance à la culture citadine envahissante issue de la civilisation gréco-latine. Il ne faut pas voir seulement dans le mot romanisation le seul usage de la langue latine et encore moins celui des habitudes vestimentaires ou culinaires importées d'Italie. Il faut surtout y voir le sens civique, c'est-à-dire le sentiment profond d'accéder à une civilisation supérieure (!), suivi du désir de contribuer aussi à sa propagation. Ainsi, la plupart des peuples barbares soumis par Rome sont devenus par la suite les meilleurs vecteurs de la citoyenneté romaine, considérée comme un plus, comme un acquis positif, voire comme une finalité. C'est toujours sur cet argument, vieux comme le Monde, que s'appuient les impérialismes pour convaincre les peuples plus petits ou plus faibles.

 

 

Stratégie militaire et politique

            La première erreur des historiens consiste donc à penser et à dire que les deux expéditions de Jules César en Ile de Bretagne sont restées sans suite, et que les Bretons sont restés totalement indépendants et inconnus des Romains pendant plus d'un siècle après la conquête des Gaules.

            Ainsi, sans chercher à minimiser en quoi que ce soit la valeur et le courage des Bretons face aux légions romaines ni l'excellente stratégie de Cassivellaunos face à Jules César, il faut tout de même bien reconnaître que ce sont ces derniers qui, dans des conditions extrêmement difficiles et périlleuses ont réussi d'abord un débarquement historique et ensuite à obtenir la soumission de Cassivellaunos. Il faut souligner également que l'intention de Jules César n'était pas de s'emparer de la Bretagne. Sa stratégie à cette époque était essentiellement de réussir des opérations ponctuelles d'intimidation, en Germanie et en Bretagne, afin de dissuader Germains et Bretons de venir prêter main forte aux Gaulois, rien de plus. Sa tactique, en toute objectivité, a parfaitement réussi, que l'on soit de ses admirateurs ou de ses détracteurs.

            Il est important, à ce propos, de souligner le fait que Jules César, en fin politique, avait réussi avant même sa première expédition à s'allier en partie les Atrébates de l'Ile, par le biais du gaulois Commios qu'il avait au préalable fait roi des Atrébates de Belgique, branche mère de ce peuple. Nous sommes donc déjà bien renseignés sur le fait qu'il disposait de contacts positifs auprès de plusieurs peuples insulaires et cela nous met à la fois devant l'évidence de l'existence d'un sentiment pro-romain chez certains peuples bretons et par conséquent, a contrario, devant l'évidence de l'absence d'unité nationale bretonne. (4)

            Si Jules César n'a pas soumis l'Ile de Bretagne du point de vue politique, il est vrai cependant que la soumission des Gaules à l'Empire romain a pour conséquence de modifier fondamentalement les données des échanges économiques maritimes en Manche, entre Bretons et Gaulois, car désormais les interlocuteurs officiels des Bretons ne sont plus les cités gauloises, mais les représentants de l'Empire. De fait, l'indépendance économique et par voie de conséquence l'indépendance politique de l'Ile de Bretagne n'est plus que toute relative. Les plus influents des rois bretons le comprennent d'ailleurs très vite. Parmi eux, Cunobelinus, le grand roi des Catuvellauni et des Trinobantes, descendant de Cassivellaunos, comprend très vite l'intérêt d'une bonne relation avec l'Empire, et se trouve pour cela gratifié par les autorités romaines de Rex Britannorum. (5)

 

 

Stratégie politique et économique

            L'Ile de Bretagne est désormais de fait dans l'aire d'influence économique et politique de l'empire romain dès la fin de la conquête des Gaules. A preuve ce grand axe routier sud-nord, rejoignant Lugdunum / Lyon à Gesoriacum / Boulogne-sur-Mer, mis en place par le gendre de l'empereur Auguste, Marcus Vipsanius Agrippa, chargé du réseau routier romain en Gaule, à partir de 27 avant JC, c'est-à-dire plus de soixante ans avant que Rome envisage la conquête de l'Ile.

            La situation est tellement à l'avantage de l'Empire à l'époque d'Auguste et de Tibère que l'idée d'une conquête de la Bretagne ne se présente même pas comme une nécessité. Cette situation ambiguë, tenant à la fois de l'indépendance politique et de la dépendance économique et commerciale, est parfaitement relatée dans ce passage de Strabon, décrivant la situation des relations entre Bretons et Romains au début du Ier siècle :

            " Mais actuellement, certains de leurs souverains ont établi des relations d'amitié avec César Auguste par des ambassadeurs et des services obligeants, ils ont consacré des offrandes au Capitole et ils ont mis toute leur ile plus ou moins à la disposition des Romains. Outre cela, ils acceptent si facilement de payer de lourdes taxes sur les marchandises qu'ils exportent de Celtique et sur celles qu'ils en importent - gourmettes et colliers d'ivoire, gemmes d'ambre jaune, ustensiles de verre et autres menus objets du même genre - qu'il n'est pas nécessaire d'installer la moindre garnison sur l'île, tandis qu'il faudrait au moins une légion entière et de la cavalerie pour lever des impôts chez eux, et la dépense nécessitée par l'entretien de la troupe atteindrait le même montant que le supplément des recettes escompté, d'autant plus que les taxes sur les marchandises diminuent nécessairement quand on institue des impôts. On s'exposerait également à des dangers s'il fallait recourir à la force." (6)

            Cette situation de paix entre Bretons et Romains dure jusqu'à la mort de Cunobelinus, vers 40 après J.C. Deux de ses fils, Caratacos et Togodumnos, s'emparent alors du pouvoir au détriment de leur frère Adminios qui, ainsi évincé et expulsé, va chercher refuge auprès de l'empereur Caligula. Cet appel reste sans suite réelle. Mais les visions hégémonistes des deux frères, rois des Catuvellauni et des Trinobantes sur le sud-est de l'ïle de Bretagne, en s'attaquant de nouveau aux Atrébates et en expulsant leur roi Verica, dernier descendant de Commios et ami fidèle des Romains, met le feu dans les relations entre l'Empire et les deux rois bretons. D'autant qu'en vérité, l'argument du nouvel empereur Claude est double. Tout d'abord, en intervenant militairement, il se place en arbitre entre les Bretons en les soumettant tous cette fois-ci à la Loi romaine. Ensuite, cela lui donne la possibilité d'assouvir une réelle ambition personnelle imitée de son aïeul Jules César, celle d'ajouter une nouvelle province à l'Empire, avec la gloire de pouvoir y attacher son nom.

 

Tiberius Claudius Nero Drusus

né à Lyon le Ier août sous le consulat d'Africanus Fabius Q. f. Maximus et de Iullus Antonius M. f.

( 10 avant J-C)

 

 

Une conquête forcée et laborieuse

            L'attaque est parfaitement ciblée sur les fauteurs de troubles, de surcroît ennemis des amis des Romains. Ces fauteurs de troubles sont les Catuvellauni et les Trinobantes, ainsi que leurs alliés. (7)

            Le commandement de l'armée romaine mise sur pied est confié à Aulus Plautius. Il est assisté de Vespasien, Flavius Sabinus, et Hosidius Geta. Il dispose de quatre légions professionnelles : la Legio II Augusta, la Legio XIV Gemina, et la Legio XX Valeria, stationnées sur le Rhin, et la Legio IX Hispania, provenant de Pannonie.

            Dès que les menaces d'un conflit armé sont désormais évidentes, plusieurs peuples bretons se déclarent pour les Romains, ou se rangent dans une neutralité favorable à ces derniers. On peut citer d'abord les Atrébates, alliés inconditionnels de l'Empire depuis près d'un siècle, mais aussi les Iceni, les Cornovii, les Briganti, ceux- ci préférant à l'évidence la présence des Romains à celle de leurs turbulents et inquiétants voisins. (8)

            La première phase de la conquête de l'Ile se termine donc dans le courant de l'été 43 par l'écrasement logique des Catuvellauni et des Trinobantes. Caratacos réussit à s'en tirer vivant et à se réfugier chez les Silures, non encore impliqués dans cette guerre. Les Romains s'installent dans le Sud-Est, donnant ainsi naissance à la province romaine Britannia, en y créant des forteresses et un début de réseau routier et urbain. Camulodunum / Colchester, première capitale romaine de Bretagne, est même dotée d'un temple dédié à la Divinité de Claude, l'empereur victorieux.

            Une dizaine d'année plus tard, une guerre s'allume entre Romains et Silures, animés à leur tour par Caratacos. Celui-ci, assiégé dans une forteresse, réussit à s'enfuir en cherchant refuge chez les Brigantes. Mal lui en prend car la reine de ce peuple, Cartimandua, qui préfère garder de bonnes relations avec les Romains, leur livre enchaîné le vaillant Caratacos (9). Celui-ci est conduit à Rome devant l'empereur Claude, son vainqueur. Caratacos tient alors, contre toute attente, ces propos d'une fierté et d'une valeur impérissable, opposables à tous les impérialistes de toutes époques et de tous pays :

            " Comment pouvez vous, vous qui possédez de si belles choses en si grand nombre, convoiter nos (misérables) huttes ?"

            " Si vous, vous voulez commander à tout le monde, est-ce une raison pour que tout le monde accepte cette servitude ? "

            Cette réplique lui vaut la vie sauve ainsi qu'à sa famille. Il est gracié et assigné à résidence à Rome ou en Italie, où il disparaît de la vie politique. (10)

            La réaction des Bretons vis à vis de l'attitude désormais hégémoniste des Romains vient trop tard. Les problèmes commencent chez les Iceni qui, outragés par le viol de leur reine et des deux princesses par des plénipotentiaires romains, allument une immense révolte qui embrase tout le sud de l'Ile, et s'achève par un massacre généralisé de part et d'autre entre Bretons et Romains, la victoire finale restant à ces derniers. (11)

i

Boudicca et ses deux filles

statue en bronze sur le pont de Westminster, à Londres. JC Even. 1983. Copyright

            Puis c'est au tour des Brigantes, pourtant anciens alliés de Rome, d'être soumis. Les Romains installent la Légio IX Hispania à Eburacum / York en plein coeur du pays brigante, en 74 après J-C. (12)

            La soumission et la pacification de toute la moitié sud de l'Ile seront définitives et sans appel. Qu'elles aient été amies ou ennemies des Romains, une fois battues militairement, les cités bretonnes se sont tour à tour rangées sous l'autorité de Rome, en fournissant au besoin le personnel militaire à la poursuite de la conquête de leur propre pays.

            Ce ralliement des Bretons en qualité d'auxiliaires de l'armée romaine est déjà évident au moment ou Agricola commence la conquête du nord de l'Ile :

            "Il fait partir sa flotte la première, avec ordre de piller sur plusieurs points de la côte, afin que l'ennemi, ne sachant jamais ou était le péril, fût dans une terreur extrême; et lui-même, à la tête d'une armée sans bagages, à laquelle il avait ajouté un corps de Bretons connus pour leur valeur et éprouvés par une longue fidélité, il s'avance jusqu'au Mont Graupius." (13)

            La bataille du Mont Graupius constitue la dernière phase de la conquête de l'Ile. La présence de Bretons aux côtés des Romains est considérée comme une suprême humiliation par les derniers résistants de la Bretagne celtique, et ce fait ne manque pas d'être souligné et exploité par Galgacos, le dernier grand chef de la Bretagne indépendante :

            "Cette armée, quelle est-elle ? un assemblage des nations les plus différentes, qu'unit la prospérité, qu'un revers dissoudra; à moins que ces Gaulois, ces Germains et (j'ai honte de le dire) cette foule de Bretons, qui prêtent leur sang à une domination étrangère, dont après tout, ils furent plus longtemps les ennemis que les esclaves, ne vous semblent attachés à eux par l'affection et la fidélité ! Ils le sont par la crainte, par la terreur, faibles liens d'amitié : rompez ces liens; en cessant de trembler, ils commenceront à haïr... Dans les rangs mêmes des ennemis nous trouvons des bras qui sont à nous : les Bretons reconnaîtront leur propre cause." (14)

            Vaines incantations; faux espoirs. Les Calédoniens sont écrasés à leur tour, perdant dix mille guerriers environ. Cette défaite marque la fin de la Bretagne indépendante. Cela se passe en 84 après J.C. Peu de temps après, l'empereur Domitien fait ériger une immense statue en marbre, au milieu de l'ancien camp de Rutupiae / Richborough, laquelle statue, visible du large à tous les navigateurs, marque le triomphe de Rome et sa présence en Bretagne, île au-delà du Monde. (15)

            L'autorité romaine est cependant remise en cause, une trentaine d'années plus tard dans le nord de l'Ile, sous l'impulsion des celtes d'Irlande. Cela se traduit par une grave défaite de la Légio IX Hispania, que l'empereur Hadrien est contraint de retirer et de remplacer par la Légio VI Victrix. Il décide par la même occasion de la construction de cette fameuse muraille qui, portant son nom de Mur d'Hadrien, barre le nord de l'ïle de l'embouchure de la Tinea / Tyne à celle de l'Ituna / Eden sur une longueur de plus de 100 Km.

 

 

Britannia romania

            Désormais l'Ile de Bretagne est coupée en deux : la Britannia, province romaine au sud, et la Bretagne barbare au nord. Plusieurs tentatives de reprise en mains sont entreprises au nord, mais en vain. La tension permanente dans le nord a également pour conséquence une partition de la Britannia romaine en deux zones, l'une au sud, province civile, avec Londinium / Londres pour capitale, et l'autre au nord, province militaire, avec Eburacum / York pour capitale.

            La romanisation se fait alors curieusement de deux façons différentes. La zone sud, bénéficiant de la Pax Romana, peut développer une économie florissante basée sur le commerce des céréales et des minerais. Ainsi voit-on fleurir des villes riches et confortables, bénéficiant des apports de la civilisation méditerranéenne, avec des bains, des théatres, des maisons chauffées et décorées, etc. Les élites de la société bretonne du sud, conquises par le raffinement citadin des romains, abandonnent petit à petit leurs oppida ancestraux au profit des nouvelles villes, parmi lesquelles Durovernum / Canterbury, Dubris / Douvres, Venta / Winchester, Camulodunum / Colchester, etc. (16)

            La zone nord, quant à elle, du fait de l'instabilité chronique des tribus barbares situées au-delà du Mur d'Hadrien, est classée province militaire, et prend l'aspect d'un vaste champ de manoeuvres permanentes. Le pays est délimité par une ceinture de forteresses, à la fois sur le Mur lui-même, à l'arrière du Mur, et de chaque côté de l'Ile, sur la Mer du Nord et sur la Mer d'irlande. Des unités militaires, issues de toutes les régions de l'empire, s'y côtoient et s'y succèdent pendant plus de trois cents ans. Leurs différences : leurs origines ethniques, leurs coutumes, leurs religions (17). Leurs points communs : la défense et la promotion de l'Empire. La langue commune de leur encadrement : le latin.

Le Mur d'Hadrien

            En complément de ces villes et de ces forteresses, les autorités romaines quadrillent la Bretagne, comme toutes les autres provinces de l'Empire, d'un réseau routier parfaitement bien calculé, efficace, et bien entretenu, pour relier entre eux tous ces points stratégiques, commerciaux et militaires (18). Comme on le voit, la romanisation répond aussi d'une méthode scientifique.

            Pour ce qui concerne la romanisation des populations, le principe a été résumé par Tacite en une seule phrase : "... suivant l'ancienne et constante maxime du peuple romain, d'avoir pour instruments de servitude même des rois " (19). La logique est simple mais efficace : romaniser d'abord les classes dirigeantes des peuples visés, en leur faisant miroiter des intérêts politiques ou commerciaux, en faisant en sorte qu'elles deviennent rapidement des admiratrices, des adeptes, puis des vecteurs de propagation de la civilisation romaine, afin qu'elles transmettent elles-mêmes ces sentiments à leurs propres congénères. Le ver dans le fruit ! De cette façon, l'impérialisme romain, plus subtil et moins contraignant en apparence, présente aussi moins de risque de provoquer des réticences ou des révoltes, puisque l'exemple de l'intégration vient des classes dirigeantes elles mêmes. Les peuples, de toute façon, se contentent généralement d'admirer et de suivre l'exemple de leurs chefs : si ceux-ci sont anti-romains, les peuples sont anti-romains ; mais si ceux-ci sont pro-romains, les peuples le sont également. En corollaire, cet alignement sur les décisions des chefs ne cause aucun état d'âme à personne quand il s'agit d'aller faire la guerre même à des frères de race. L'impérialisme romain a toujours su utiliser les forces antagonistes au sein des peuples ciblés. C'est exactement la méthode qui a été utilisée auparavant par Jules César lors de la conquête des Gaules. C'est donc la méthode qu'Aulus Plautius et qu'Agricola ont utilisé en Bretagne. Ce sera aussi, bien plus tard, celle des Blancs vis à vis des noirs africains et des Indiens d'Amérique. Il n'est guère difficile, aujourd'hui, de leur trouver des semblables. Il s'agit là d'une constante historique.

 

Imp(eratore) Antonino Aug(usto) Pio p(atri) par(riae)

vexil(l)atio leg(ioni) II Aug(ustae) et leg(ioni) VI Vic(trici)

et leg(ioni) XX V(aleria) V(ictrici)

con(t)r(i)buti ex Ger(maniis) duobus

sub Iulio Vero leg(ato) Aug(usti) pro p(raetore)

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Dédicacée à l'Empereur Antonius Augustus Pius, Père de la Patrie, (par) le

détachement prélevé dans les deux Germanies pour (renforcer) la IIè légion Augusta

et la VIè légion Victrix et la XXè légion Valeria Victrix

sous (les ordres) de Julius Verus, propréteur et légat de l'Empereur

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Inscription provenant de la rivière Tyne à Newcastle, datée de 155 environ après J-C, relative aux renforts prélevés en Germanies à l'attention des trois légions permanentes de Bretagne, apparemment après une rébellion de la cité des  Brigantes.

University an Society of Antiquaries of Newcastle upon Tyne.

Museum of Antiquities

 

 

La Bretagne dans l'histoire romaine continentale

            Après les morts violentes de Commode en 192, puis de Pertinax et de Julianus en 193, les légions stationnées en Bretagne, appelées pour cela brittanniques, proclament empereur le gouverneur de Bretagne Clodius Albinus. Son épopée n'est que de courte durée car il se fait battre par un autre compétiteur, Septime Sévère, à Lugdunum / Lyon sur le Rhône, le 19 Février 197. Il ne lui reste d'autre solution que de se suicider sur place !

            Sévère est alors contraint à son tour de venir dans le nord de la Bretagne pour refouler une nouvelle fois des Barbares qui ont profité de l'absence d'Albinus pour attaquer la province romaine de Bretagne. Quatorze ans plus tard, le 04 Février 211, Septime Sévère décède à son tour à Eburacum / York. Son corps est transporté à Rome, et inhumé dans le tombeau de Marc Aurèle. Son fils Bassianus, dit Caracalla, s'empare du pouvoir, toujours à Eburacum, en assassinant son propre frère dans les bras de sa mère.

            Quoi qu'il en soit, à cette époque le monde celtique occidental est parfaitement mûr pour le stade ultime de la romanisation : l'acquisition de la citoyenneté romaine. Le nouvel empereur, Caracalla, natif lui-même de Lugdunum / Lyon, se présente alors comme leur tremplin. Par édit impérial de 212, Caracalla concède la citoyenneté romaine à tout homme né sur le territoire de l'Empire de parents non barbares ni prisonniers de guerre. Cette disposition fait qu'à partir de cette date, tous les habitants des provinces autrefois soumises à Rome par relations commerciales ou par fait de guerre deviennent de facto des citoyens romains à part entière, avec la possibilité, dans le principe, de devenir consul, voir même empereur. Ainsi, comme les Espagnols, les Gaulois, ou les Germains de l'ouest du Rhin, les Bretons de la Britannia romaine deviennent des citoyens romains, des Romains, à part entière. De là vient que, pour les distinguer des Bretons d'avant la conquête ou des Bretons restés dans le domaine barbare, nous les désignons désormais sous le générique de Britto-romains (20).

            Ainsi, il est tout à fait abusif de penser que Posthumus, en se proclamant empereur en Gaule, en Bretagne, et en Espagne, en 257, ait voulu dissocier le monde celtique du reste de l'Empire. Son but est au contraire de faire défendre les frontières du Rhin et de la Manche par les Occidentaux eux-mêmes, tandis que Gallien, dont il ne conteste aucunement la légitimité mais qu'il considère comme un co-empereur, doit prendre en charge la défense du Haut-Danube avec les Pannoniens, les Illyriens, et les Italiens. De toute façon, cette disposition, comme on le voit, n'est en rien spécifiquement bretonne, mais s'inscrit dans le cadre général des défenses de l'Occident tout entier face aux poussées barbares. (21)

            De la même façon, il ne faut pas voir dans les évènements de la fin du IIIè siècle relatifs aux pronunciamentos de Carausius et d'Allectus une quelconque tentative de la part des Britto-romains de vouloir se défaire de la tutelle de l'Empire. De toute évidence, les populations ne suivent pas les putschistes, considérés comme des renégats et des rebelles, et dont le seul souci est de partager le pouvoir impérial en Occident pour leur seul enrichissement personnel (22). Lorsque le césar Constance Chlore reprend les choses en main pour le compte de l'Empire à l'été 296, c'est triomphalement qu'il est reçu dans Londinium / Londres par une population en liesse et heureuse d'être débarrassée des usurpateurs et de leurs alliés barbares (23).

 

 

Constance Chlore entre triomphalement à Londres

 

            Constance Chlore prend aussitôt la tête de ses troupes pour mener une guerre de représailles contre les Bretons barbares du Nord qui avaient à nouveau et comme d'habitude profité de la situation pour ravager la province romaine. Il les poursuit jusque dans leurs derniers retranchements et "... teint en rouge les Orcades du sang des Pictes..." (24). Puis il s'installe à son tour à Eburacum / York, d'où il dirige une réorganisation de la Bretagne romaine, désormais divisée en quatre provinces :

- Maxima Caesarensis, cap. Londinium / Londres;

- Britannia Prima, cap. Corinium / Cirencester;

- Flavia Caesarensis, cap Lindum / Lincoln;

- Britannia Secunda, cap Eburacum / York.

 

 

L'évolution de l'organisation provinciale de la Bretagne romaine

Extrait de Roman Britain, de Peter Salway

Époque de Claude; fin deuxième siècle; troisième siècle; quatrième siècle

 

 

           Constance Chlore décède à Eburacum / York le 25 Juillet 306. Il est ainsi, après Septime Sévère, le deuxième empereur romain à décéder dans cette grande ville de Bretagne. Il laisse l'image d'un homme certes responsable et vigoureux, mais apprécié.

            Son fils Constantin est aussitôt proclamé empereur, toujours à Eburacum / York, capitale militaire de la Bretagne romaine. Cet empereur, ainsi que sa mère, l'impératrice Hélène, laisseront une trace indélébile dans la mémoire des Bretons.

            Une tradition que l'on retrouve chez Nennius, dit aussi que Constantin II, le fils de Constantin Ier le Grand, et qui lui même a été empereur d'Occident, est mort et a été enterré à Caer Seint / Caernarvon. Le fait n'est pas historiquement ni archéologiquement avéré. Mais si cela était vrai, il ferait de Constantin II le troisième empereur romain décédé dans l'Ile. (25)

            Voilà donc le tableau politique que l'on peut dresser des Britto-romains, c'est-à-dire des Bretons de la province romaine Britannia, jusqu'aux règnes de Valentinien Ier et de Gratien : de Bretons au nationalisme pur et dur, pour la plupart farouchement hostiles les uns aux autres et farouchement hostiles à toute espèce de domination étrangère, ils sont devenus au fil du temps de bons et loyaux sujets de l'empire romain, auquel ils s'identifient et contribuent désormais pleinement. Ils sont citoyens romains à part entière, en sont fiers, et entendent le rester, en participant activement à sa politique et à sa défense militaire.

 

 

Flavius Gratianus

 

            On trouve en effet des unités militaires bretonnes un peu partout dans l'empire d'Occident. A l'époque de Trajan, une cohors VI Brittonum est installée à Bracara / Braga, en Espagne. Plus tard, selon la Notitia Dignitatum, on trouve une unité Invicti iuniores brittones aux ordres du comte d'Espagne, et qu'Emilienne Demougeot identifie aux Britannici de la lettre d'Honorius.

            ... Et lorsqu'au printemps 383, les Britto-romains prêtent main forte à Maxime et attaquent sur la côte nord de la Gaule, ce n'est absolument pas pour faire sécession d'avec l'Empire, mais bien au contraire dans la ferme intention de placer celui qu'ils ont choisi pour champion sur le trône impérial en Occident.

 

 

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